Actualités
03/06/2024
« Douane camerounaise et défis de l’émergence du Cameroun à l’ère des nouvelles menaces ». Par DIMA Quentin Achille, Sous-directeur de la Surveillance Douanière au sein de la Direction Générale des Douanes du Cameroun.
Le Cameroun, pays d’Afrique Centrale riche en ressources naturelles et culturelles, est inscrit depuis quelques années dans un vaste processus de réalisation des projets structurants, afin de se munir d’une base structurelle et infrastructurelle forte, susceptible de garantir son positionnement progressif sur la scène économique mondiale.
Ce chemin vers l'émergence est toutefois pavé d'obstacles dans la réalité d’un monde en constante mutation, marqué par l’augmentation du volume et la complexification des échanges, l’apparition de nouveaux modèles et exigences en matière commerciale, la recrudescence de la fraude fiscale et des nouvelles formes de menaces et de vulnérabilités ,notamment la criminalité organisée, la criminalité cybernétique et le terrorisme, dont le Cameroun constitue l’un des théâtres de prédilection, mettant à rude épreuve toute tentative de clivage traditionnel entre les principaux acteurs du secteur de la sécurité .
Ainsi donc, traditionnellement tournée vers la protection des frontières et la perception des droits et taxes, la Douane camerounaise travaille pour sa mue, afin de s’adapter aux exigences de la « Réforme du Secteur de la Sécurité » ; une nouvelle politique qui, outre de consacrer la « Sécurité Humaine » comme élément essentiel pour une paix durable, exalte la capitalisation des processus établis au sein des administrations concourantes en charge notamment de la collecte et de la diffusion du renseignement prévisionnel dans l’élaboration des stratégies des forces en première ligne en matière sécuritaire.
La Douane Camerounaise à l’instar des douanes modernes du monde se trouve dès lors interpellée en tant que force de protection de la stato-territorialité, mais également en tant que force de composition géopolitique, du fait de sa position avant-gardiste dans la coopération et la collaboration en matière de défense et de sécurité, en tant que force d’interface dans le dispositif de maillage territorial et frontalier, en tant que force de sécurité collective et coopérative, en tant qu’outil d’intégration régionale et continentale et géopolitique à travers les mesures de convergence édictées par les dispositifs communautaires communs de l’OMD (convergence en termes de logistique, juridiques, de bonnes pratiques et de standards).
La Douane Camerounaise : un acteur important du dispositif global de défense et de sécurité par le passage de la fonction de sécurité à la mission de Sécurité.
Les Très Hauts Accords du CHEF DE L’ETAT en vue de l’intégration de la Douane Camerounaise au sein de la Communauté Nationale de Défense et de Sécurité du 08/10/2020, et son inscription dans les différentes instances nationales de partage du renseignement par lettre du 30/03/2022, ont été matérialisés au sein du Ministère des Finances par l’inscription dans la Stratégie Nationale de Développement à l’horizon 2035 (SND30), notamment le Programme 032 intitulé « Gouvernance Douanière, Protection de l’espace économique et Participation à la Sécurité Nationale », d’objectifs chiffrés concernant les saisies de marchandises stratégiques ayant un impact négatif sur la sécurité.
Ce virage stratégique qui sonne comme une démarche de confortement des préconisations des Résolutions 1540 (2004) du Conseil de Sécurité de l'ONU et de Punta Cana (décembre 2015) de la Commission de Politique Générale de l' Organisation Mondiale des Douanes (OMD), vise à tirer le plus grand profit de toutes les possibilités qu’offre le dispositif de surveillance des douanes dans l’optimisation des garanties de sécurité, du fait de son pré-positionnement aux frontières terrestres, aériennes et maritimes et sa capacité à contrôler les flux financiers illicites, notamment dans un contexte de lutte contre le terrorisme.
Si la douane disposait déjà de certains prérequis pour le contrôle de flux financiers, les ajustements opérationnels induites du changement de paradigme sus-rappelé l’ont conduit à capaciter son personnel sur l’identification et le contrôle des marchandises stratégiques, notamment celles identifiées dans les programmes Global Shield de l’OMD, CHEMEX de l’Organisation Internationale de Police Criminelle (OIPC-INTERPOL) et la Convention sur les l’interdiction des armes chimiques de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), et qui peuvent servir de précurseurs de drogue ou de précurseurs chimiques et autres matériels associés entrant dans la fabrication des Engins Explosifs Improvisés (EEI) ; une démarche qui a créé une véritable révolution dans la diversité des marchandises ciblées et saisies au quotidien.
A titre d’illustration, au cours de l’année écoulée, les dispositifs de surveillance douanière ont réalisé 13 saisies de marchandises stratégiques et dangereuses, pour un total de 9 975 munitions, 1?750 kg de précurseurs chimiques et autres matériels associés entrant dans la fabrication des EEI et 1 467 effets d’habillement militaire (tenues, casquettes, rangers) importés en contrebande.
La Douane Camerounaise : un pilier du développement socio-économique.
La Douane, en tant qu'Administration chargée du contrôle des échanges commerciaux aux frontières, joue un rôle central dans le développement socio-économique de tout pays. Au Cameroun, outre son indéfectible contribution aux recettes de l’Etat par la collecte des droits et taxes sur les importations et les exportations, la Douane se positionne comme un acteur essentiel dans la protection de l’espace économique, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre des mesures de promotion du « made in Cameroun ». Les saisies de plus de 800 maillots de contrefaçon des Lions Indomptables (One All Sports) et plus de 56 002 bouteilles de vins, whiskies et autres alcools non estampillées, en constituent une parfaite illustration.
S’agissant du point particulier relatif à la protection de l’espace économique national et à l’amélioration de la compétitivité de l’économie, la Douane est chargée de la facilitation des échanges, de la mise en œuvre des régimes économiques, de l’application des mesures de promotion de l’import-substitution, de la lutte contre la fraude, la contrebande, la contrefaçon et les autres formes de commerce illicite, de la collecte et l’analyse des statistiques du commerce extérieur.
La Douane Camerounaise : un acteur éminent de la protection de la société.
La stabilité des états dépend en grande partie de leur capacité à assurer la sécurité humaine et à garantir le développement durable. Les services des douanes assurent cette mission à travers les actions de protection de la santé des consommateurs, la surveillance des essences et des espèces protégés (CITES), la mise en œuvre des dispositions de la Convention Bale et toutes autres actions visant la protection de l’environnement, notamment la lutte contre l’importation des plastiques non-biodégradables et des marchandises susceptibles de contribuer à l’accélération de la destruction de la couche d’ozone. Sur ce chapitre, au cours de l’année 2023, la Douane Camerounaise procédé à des saisies de 300 tonnes de médicaments, 268 225 litres de carburant frelaté, 10 espèces sauvages protégées par la convention CITES, deux conteneurs 40’ de produits COLGATE PALMOLIVE de contrefaçon, et 12 tonnes de plastiques non-biodégradables.
La Douane Camerounaise : un acteur majeur pour le respect de l’ordre public et moral établi.
L’article 63 du Code des Douanes de la CEMAC (1ère édition 2020) dispose à cet effet que la circulation des marchandises portant atteinte à l’ordre public, à la sécurité, à la protection de la santé de la vie des personnes et des animaux et à la moralité publique sont prohibées à l’entrée et à la sortie du territoire douanier et exclues des régimes douaniers. C’est le sens des saisies de supports et autres documents à caractère déviant ou propagandistes qui font la promotion des mouvements criminels et autres idéologies susceptibles de provoquer des troubles sociaux. Malgré ce rôle crucial, la Douane Camerounaise fait face à de nombreux défis à savoir :
- Le défi de conciliation entre les exigences de facilitation et les impératifs de sécurité.
Afin de ne pas constituer une entrave à la facilitation des échanges, la douane est appelée à mieux contrôler tout en réduisant le nombre de contrôles. Pour y arriver, outre d’améliorer de façon permanente son dispositif de renseignement, elle doit renforcer la mise en œuvre du Cadre des Nomes SAFE par une extension des contrôles non-intrusifs au-delà des plateformes portuaires et aéroportuaires.
- Le défi de l’opérationnalisation de la douane maritime
L’essentiel des échanges entre le Cameroun et l’extérieur se passe au niveau du plan d’eau. Pourtant les services de surveillance des douanes se trouvent quasi-totalement absents sur ce théâtre. Après la formation de deux contingents de douaniers « douaniers-marins », il devient urgent de terminer le processus entamé par la construction des quais, des bases navales et l’acquisition des moyens flottants en vue de l’opérationnalisation de cette section spécialisée de l’Administration des douanes.
- Le défi de la pleine application du programme SPC++
Il s’agit d’un programme de sécurité par collaboration qui regroupe cinq (05) pays de la Région OMD Afrique Occidentale et Centrale (OMD-AOC) à savoir le Bénin, la République Centrafricaine, le Tchad, le Niger, le Nigeria et le Cameroun et qui vise l’échange d’information et le partage de renseignement entre les unités des douanes le long de la ligne frontière en vue d’une lutte efficace et efficiente contre les menaces à l’économie et à la sécurité.
- Le défi de l’interopérabilité
L’interopérabilité entre la douane Camerounaise et les autres forces du secteur de défense et de sécurité se pose comme un impératif et suppose le respect de certains principes, notamment : les principes de « coordination », « complémentarité » et « cohérence » et de communication, afin d’assurer une collaboration harmonieuse entre les différents acteurs sur le terrain. Cette démarche exige de cultiver une vision commune et une doctrine d’action commune.
L’attente de cet objectif appelle à des programmes de formations communs, notamment à travers l’admission d’un vivier des personnels des douanes dans des écoles spécialisées de sécurité à l’exemple de l’EIFORCES et l’Ecole de Guerre.
- Le défi de la pleine mise en œuvre des centres de négoces et des brigades mixtes inter-états
Outre de créer de petits pôles de développement dans le cadre de la lutte contre les frontières fragiles qui constituent les zones de vie des groupes criminelles, la mise en place de ces dispositifs constitue une formidable alternative une meilleure prise en charge des marchandises et un meilleur échange d’information le long de la ligne frontière.
- Le défi de d'adaptation et de l'innovation permanente de l’intelligence artificielle
Bien que des progrès soient en cours de réalisation depuis plusieurs années dans ce domaine, notamment avec la mise en place de systèmes informatisés de gestion des données et de scanners de conteneurs (SYDONIA, CAMCIS, COSMOS, NEXUS, drones de surveillance), la douane camerounaise gagnerait à poursuivre l’investissement sur le développement de l’intelligence artificielle et des partenariats stratégiques avec d'autres agences de sécurité nationales et internationales, à l’exemple de l’OMD et de l’OIPC-INTERPOL, avec des acteurs du secteur privé tels que les banques ou les compagnies maritimes, ainsi que les membres de la société civile œuvrant en la matière comme les ONG LAGA et TRAFFIC, pour échanger des informations et coordonner les efforts de lutte contre les trafics illicites aux frontières.